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Coeur
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Le forçat innocent

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
BY [Jules_Supervielle ]

2004-12-20  | [This text should be read in francais]    |  Вписаний в бібліотеку Nicole Pottier



A Pilar.


Il ne sait pas mon nom
Ce cœur dont je suis l’hôte,
Il ne sait rien de moi
Que des régions sauvages.
Hauts plateaux faits de sang,
Epaisseurs interdites,
Comment vous conquérir
Sans vous donner la mort ?
Comment vous remonter,
Rivières de ma nuit
Retournant à vos sources
Rivières sans poissons
Mais brûlantes et douces.
Je tourne autour de vous et ne puis vous aborder,
Bruits de plages lointaines,
O courants de ma terre
Vous me chassez au large
Et pourtant je suis vous, et je suis vous aussi
Mes violents rivages,
Ecumes de ma vie.

Beau visage de femme,
Corps entouré d’espace,
Comment avez-vous fait,
Allant de place en place,
Pour entrer dans cette île
Où je n’ai pas d’accès
Et qui m’est chaque jour
Plus sourde et insolite,
Pour y poser le pied
Comme en votre demeure,
Pour avancer la main
Comprenant que c’est l’heure
De prendre un livre ou bien
De fermer la croisée.
Vous allez, vous venez,
Vous prenez votre temps
Comme si vous suivaient
Seuls les yeux d’un enfant.

Sous la voûte charnelle
Mon cœur qui se croit seul
S’agite prisonnier
Pour sortir de sa cage.
Si je pouvais un jour
Lui dire sans langage
Que je forme le cercle
Tout autour de sa vie !
Par mes yeux bien ouverts
Faire descendre en lui
La surface du monde
Et tout ce qui dépasse,
Les vagues et les cieux,
Les têtes et les yeux !
Ne saurais-je du moins
L’éclairer à demi
D’une mince bougie
Et lui montrer dans l’ombre
Celle qui vit en lui
Sans s’étonner jamais.

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